Commen l'Iran surjoue son
rapprochement avec la Chine
Téhéran, qui vient d’adhérer à l’Organisation de
coopération de Shanghai, met en scène sa proximité avec
Pékin pour mieux faire pression sur l’Occident.
Le président chinois Xi Jinping, reçu par le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei,
le 23 janvier 2016 à Téhéran.© POOL / SUPREME LEADER PRESS OFFI /
ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Par Armin Arefi
Publié le 21/09/2021 à 16h09
Un rare vent d’optimisme
souffle sur l’Iran. Après treize années de tentatives
infructueuses, la République islamique a fini par obtenir, vendredi, son
adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Cette
alliance sécuritaire créée en 2001 à l’initiative de Pékin et de
Moscou regroupe, outre la Chine et la Russie, l’Inde, le Pakistan et quatre États d’Asie centrale
(le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et
le Tadjikistan). Formée à l’origine dans le but de sécuriser la région
face aux mouvements « terroristes, fondamentalistes
et séparatistes », l’OCS entend également favoriser la coopération
économique entre ses membres. Sur le papier, l’offre se révèle des plus
alléchantes. Elle ouvre la voie à un marché potentiel représentant 50 %
de la population mondiale et plus de 20 % du produit intérieur brut de la
planète.
Jusqu’ici, la République islamique, qui ne disposait que d’un simple statut d’État observateur, en était écartée du fait des sanctions liées à son programme nucléaire controversé. « La Chine hésitait à inclure l’Iran, car elle s’inquiétait de voir l’Iran contribuer à la nature antiaméricaine de l’organisation », explique Nicole Grajewski, chercheuse sur les questions de sécurité internationale au Belfer Center for Science and International Affairs de la Kennedy School de l’université de Harvard. « Le Tadjikistan aurait également bloqué l’adhésion de l’Iran en 2016 en raison de désaccords portant sur l’arrestation par Téhéran de l’homme d’affaires iranien Babak Zandjani (dont les avoirs ont été gelés par Douchanbé) ou sur l’ouverture de l’Iran au Parti de la Renaissance islamique du Tadjikistan. Ils semblent avoir été résolus. »
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« Victoire politique »
C’est dire si l’annonce par le
président chinois Xi Jinping de l’ouverture des procédures d’adhésion de
l’Iran – elles devraient prendre un an à un an et demi – a ravi Téhéran,
désireuse depuis de nombreuses années de rejoindre une union régionale.
« C’est une vraie victoire politique pour l’Iran, toujours visé par les
sanctions américaines, qui va permettre une coopération sécuritaire étroite
avec trois membres clés de l’OCS, qui sont également des puissances nucléaires
(la Chine, la Russie et l’Inde) », se félicite depuis la capitale
iranienne Cyrus Razzaghi, président du cabinet Ara Entreprise, qui conseille
les entreprises étrangères souhaitant investir en Iran. « Celle adhésion
va également apporter à l’Iran de meilleures opportunités économiques. Elle est
en ligne avec l’inclination de Téhéran vers l’Asie et la Chine, aux dépens de
ses partenaires européens traditionnels. »
Arrivé aux affaires le mois dernier, le nouveau président iranien,
l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, n’a pas manqué de souligner un
« succès stratégique et diplomatique », alors que son pays est
empêtré dans une crise économique sans précédent doublée d’une crise
sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, dont l’Iran subit actuellement la
cinquième vague. En l’absence d’avancée sur l’épineux dossier du nucléaire iranien
– les négociations avec les grandes puissances sont suspendues depuis cet été
et le changement de gouvernement en Iran –, la République islamique se plaît à
mettre en avant la rupture de son isolement diplomatique ainsi que son
inexorable rapprochement avec la Chine. Pourtant, cette « victoire »
iranienne semble aujourd’hui beaucoup plus contrastée que ce qu’en disent ses
dirigeants.
Bénéfices économiques
marginaux
« Il s’agit d’une victoire importante
sur le plan symbolique, mais on peut légitimement s’interroger sur ce que
l’Organisation de coopération de Shanghai va réellement apporter à l’Iran et à
son économie », pointe Thierry Kellner, chercheur spécialiste de
l’Asie centrale à l’Université libre de Bruxelles. « L’OCS est avant
tout une alliance de coopération sécuritaire non traditionnelle qui traite
de la lutte antiterroriste ou contre le trafic de drogue. » Les
nombreuses divergences de ses membres limitent considérablement sa
portée. L’organisation regroupe, par exemple, des États toujours en
conflit, tels que l’Inde et le Pakistan, autour de la région explosive du
Cachemire. Des affrontements meurtriers ont également opposé ces dernières
années l’Inde à la Chine au sujet de la région frontalière de l’Aksai
Chin, dans l’Himalaya.
Bénéfices économiques
marginaux
« Il s’agit d’une victoire importante
sur le plan symbolique, mais on peut légitimement s’interroger sur ce que
l’Organisation de coopération de Shanghai va réellement apporter à l’Iran et à
son économie », pointe Thierry Kellner, chercheur spécialiste de
l’Asie centrale à l’Université libre de Bruxelles. « L’OCS est avant
tout une alliance de coopération sécuritaire non traditionnelle qui traite
de la lutte antiterroriste ou contre le trafic de drogue. » Les
nombreuses divergences de ses membres limitent considérablement sa
portée. L’organisation regroupe, par exemple, des États toujours en
conflit, tels que l’Inde et le Pakistan, autour de la région explosive du
Cachemire. Des affrontements meurtriers ont également opposé ces dernières
années l’Inde à la Chine au sujet de la région frontalière de l’Aksai
Chin, dans l’Himalaya.
Si elle n’est en rien comparable à l’Otan, l’Organisation de coopération
de Shanghai n’a pas non plus vocation à devenir un marché commun, à l’image de
l’Union européenne. « L’OSC n’a jamais vraiment traité des questions
économiques en raison des désaccords persistants sur l’étendue de la
coopération dans ce domaine entre la Russie et la Chine », rappelle
la chercheuse Nicole Grajewski. « Si les relations commerciales
bilatérales de l’Iran avec la région pourraient recevoir plus
d’attention, les bénéfices économiques directs liés à l’adhésion se
révéleront marginaux. »
Accord de 25 ans Chine-Iran
L’engouement autour de l’adhésion de
l’Iran à l’Organisation de coopération de Shanghai rappelle celui qui a
accompagné la signature en mars 2021 à Téhéran d’un accord de
coopération stratégique et commerciale sur 25 ans entre la Chine et
l’Iran. Portant sur des échanges renforcés dans
les secteurs politique, militaire et économique, le texte était censé
symboliser l’échec de la politique d’isolement prônée par Washington,
ainsi que la priorité désormais donnée par la République
islamique à ses relations avec l'« Est », conformément à
l’inflexion donnée par le guide suprême Ali Khamenei en 2018, au lendemain du
retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien.
À LIRE AUSSIL’accord secret que
préparent l’Iran et la Chine
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Or, le document, en réalité un protocole
d’accord, ne différait pas fondamentalement des autres partenariats
stratégiques précédemment conclus par la Chine avec l’Arabie saoudite et
les Émirats arabes unis, respectivement premier et deuxième partenaires de la
Chine au Moyen-Orient (l’Iran arrive en troisième position). « Pékin
permet à Téhéran de limiter ses difficultés économiques, mais elle ne
peut pas aller plus loin dans son appui à la République islamique, car
elle ne souhaite pas sacrifier les liens plus importants qu’elle entretient
avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, rivaux de l’Iran dans la
région », analyse l’universitaire Fereydoun Khavand, spécialiste de
l’économie iranienne. « Quant à l’Iran, en tant que pays exportateur de
pétrole, il conserve des liens anciens avec l’Europe dont il ne peut pas se
passer, mais il se retrouve, pas la force de choses, entraîné vers la
Chine, alors qu’il ne souhaite pas placer tous ses œufs dans le panier
chinois. »
Progrès nucléaires
La relation qui unit Téhéran à Pékin est
d’autant plus fragile que l'empire du Milieu sait qu’il marche sur des œufs
avec la République islamique. Premier partenaire commercial de l’Iran, la Chine
se conforme largement aux sanctions américaines pour éviter d’être visée à son
tour par les lois extraterritoriales des États-Unis – Washington reste le
deuxième partenaire commercial de Pékin. D’après le chef de la chambre de
commerce sino-iranienne à Téhéran, Majid-Reza Hariri, le volume des
transactions entre la Chine et l’Iran a ainsi chuté l’an dernier à environ 16 milliards
de dollars, contre 51,8 milliards de dollars en 2014. Toutefois, Pékin
continue à acquérir illégalement quelque 800 000 barils de pétrole iranien
par jour, selon les données compilées par le site spécialiste TankerTrackers.com.
Au-delà des annonces symboliques, le
chemin d’une embellie de l’économie iranienne passe inexorablement par Vienne
et la conclusion d’un accord sur le nucléaire iranien. Or, après les dernières
avancées de l’Iran en matière d’enrichissement d’uranium, révélées par le
dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ce scénario
semble s’éloigner chaque jour davantage.
Progrès nucléaires
La relation qui unit Téhéran à Pékin est
d’autant plus fragile que l'empire du Milieu sait qu’il marche sur des œufs
avec la République islamique. Premier partenaire commercial de l’Iran, la Chine
se conforme largement aux sanctions américaines pour éviter d’être visée à son
tour par les lois extraterritoriales des États-Unis – Washington reste le
deuxième partenaire commercial de Pékin. D’après le chef de la chambre de
commerce sino-iranienne à Téhéran, Majid-Reza Hariri, le volume des
transactions entre la Chine et l’Iran a ainsi chuté l’an dernier à environ 16 milliards
de dollars, contre 51,8 milliards de dollars en 2014. Toutefois, Pékin
continue à acquérir illégalement quelque 800 000 barils de pétrole iranien
par jour, selon les données compilées par le site spécialiste TankerTrackers.com.
Au-delà des annonces symboliques, le
chemin d’une embellie de l’économie iranienne passe inexorablement par Vienne
et la conclusion d’un accord sur le nucléaire iranien. Or, après les dernières
avancées de l’Iran en matière d’enrichissement d’uranium, révélées par le
dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ce scénario
semble s’éloigner chaque jour davantage.